jeudi 1 décembre 2016

Les passagers d'Automne


                            Il existe des moments où le pêcheur le sent bien, où son flair de prédateur lui impose de se rendre immédiatement au bord de l’eau. Les sens sont en ébullition et c’est une évidence, il se passe quelque chose sous la surface!
 On parle bien des transitions saisonnières importantes qui transforment la nature. Ces changements influent sur l’ensemble de l’écosystème et donc sur les conditions de pêche. Le milieu change et les chasseurs/pêcheurs/cueilleurs que nous étions voient en ce trouble l’occasion de faire le plein de sensations. Sans entrer dans des explications trop scientifiques on peut tenter de comprendre ce qu’il se passe sous l’eau.
Le temps de lumière est chaque jour moins important, la puissance du soleil baisse en intensité et ; par conséquent la température chute. Ce grand bouleversement joue sur la vie en général et tandis que certains migrent ou hibernent, la végétation et les animaux à sang froid subissent ou s’adaptent : les herbiers se dégradent et meurent progressivement alors que les espèces animales modifient leur métabolisme.

 Mais qu’est-ce que ça change ?
Le poisson fourrage perd peu à peu sa nourriture et sa zone de confort. En gros on peut dire que les gardons, ablettes et autres poissons blancs se font retirer la couette, ils n’ont plus de cachette et vont devoir se déplacer pour trouver de la nourriture !
 Mis à part les structures telles que les arbres immergés, les blocs de roches et différentes épaves les « blancs » n’ont plus d’autres choix que de se regrouper pour s’auto protéger. (C’est un peu pour ça que sur ton échosondeur tu vois d’énormes masses de poissons !) Il va de soi que leurs prédateurs changent aussi leur mode de fonctionnement. Si ton frigo se déplace ; il te suffit de le suivre, de l’encercler avec tes supers copains et de taper dedans de temps en temps ! Fini les embuscades au raz des herbiers, place à la fainéantise et au gavage !
Une traque en mouvement.
Les bass, les brochets, les perches et  les sandres le savent : il fera bientôt très froid et ce sera bien plus long de digérer une proie. Il faut donc profiter des températures encore acceptables pour emmagasiner un maximum de graisse. Nos amis entament une période d’alimentation  abondante où sur les moments les plus chauds de la journée de véritables frénésies (lien article frénésie) alimentaires éclateront.

Où sont-ils ?
 Les déplacements sont nombreux en cette saison. Que ce soit en profondeur pour trouver des températures de confort supérieures (thermocline) ou en recul dans des fonds de baies (zones à l’abri des courants qui se réchauffent plus vite au soleil), le pêcheur doit analyser son spot afin de localiser les carnassiers.  Un petit carnet de suivi de vos sessions pêche avec la localisation des poissons par période, température, vent etc peut vous aider à retrouver les carnassiers et leur « pattern » d’une année sur l’autre ; et franchement ça marche ! Attention tout de même aux changements dus aux crues qui modifient le lit de la rivière.

 Un comportement adapté !
Ok, en France le schéma halieutique est assez complexe. On est souvent obligé de faire des bornes, ce qui d’ailleurs est l’occasion de se retrouver entre potes et de mettre l’accent sur les retrouvailles, la convivialité, la déconne, la bouffée de nature et oui je l’oubliais presque la passion !  En parlant de rassemblement dans le genre en voici un extrait: 




T'es sur qu'il y en a assez Seb?


Quand on n'attrape rien certains chantent ou simplement t'insultent gratuitement...


Décompression totale




Revenons aux choses sérieuses!
Mais comme je dis en réponse au pêcheur relou qui trouve que c’est toujours mieux ailleurs : -« Plus tu t’éloignes de tes spots, plus tu te rapproches de ceux des autres. » A bon entendeur…  Ensuite, pour alourdir le contexte je trouve qu’il y a beaucoup trop de pêcheurs de carnassiers comparés aux spots disponibles et riches en poissons sur le domaine public. Une superficie d’eau douce tout de même assez volumineuse mais très mal équilibrée sur le pays. On manque de grands barrages, de territoires vastes où la surpêche ne pourrait pas se faire ressentir. Rajoutez à cela des vagues de pêcheurs connectés qui ; à la moindre publication sur le net d’une belle session débouleront en fanfare pour eux aussi faire la même photo avec ce même poisson et bien sûr jusqu’à épuisement du stock !!… Non non je n’exagère pas, c’est presque pire que les cormorans, le no kill sera de mise mais le spot sera sur pêché pendant des semaines. 
Alors que faire ?
     J’ai opté pour le forfait rotation/discrétion ! Waouuu trop cool ton forfait !! Assez naturellement je m’aperçois que ma pêche se calque sur la saisonnalité. Je cible une ou deux espèces par période puis je passe à d’autres et ce, tout au long de l’année. De cette manière je peux utiliser l’ensemble de mon matos, je ne me lasse pas et j’peux vite m’extirper de la foule du bord de l’eau qui m’horripile !! Il n’y a pas pire que de se retrouver stressé, quand on va à la pêche on aime y être pénos non ??!!!  Ok j’me calme et vous donne un exemple :
De Mars à Mai : La truite (en même temps on n’a pas trop de choix).
De Mai à Juillet : le brochet (tant que l’eau est fraîche car quand les eaux sont chaudes c’est un grand risque de les voir crever quelques heures après la relâche !).
De Juillet à octobre : Le bass, le bass et le bass.
De novembre à Janvier : Le brochet, la perche et le sandre. Puis pour combler les trous je cale de la carpe, du chevesne et bientôt du silure à la mouche (la pêche à la mouche fait un bien fou et ça nous éloigne des spots trop convoités et trop à la mode). 
L’intérêt d’un tel roulement permet à mes spots et aux poissons qu’ils contiennent d’être taquinés en alternance, certains sont tranquilles quand d’autres sont occupés à se faire soigner les dents. Même si évidement je ne suis pas le seul pêcheur ce sera déjà ma présence et ma manière de pêcher en moins. Je pêche mes spots 5 fois grand max par an favorisant ainsi une meilleure réactivité des poissons, moins de stress, une meilleure santé, moins d’éducation et donc plus de plaisir avec des sessions réussies et poissonneuses !

Je le redis : « -il n’y a pas de bon pêcheur, il y a juste des bons coins de pêche… » Oui-oui je suis assez fier de cette phrase et j’vous la ressortirai ! ! Bref continuons. J’essaie aussi d’espacer mes parties de pêche dans la saison. N’oublions pas qu’encore une fois nous ne sommes pas seul et qu’un pêcheur qui se gare tous les jours au même endroit va intriguer du monde et ça ; aie aie aie, c’est dangereux pour votre petit paradis… Puis franchement pour les poissons c’est bien mieux que de les matraquer quotidiennement. Ainsi j’ai un impact moins important sur mes zones favorites, je respecte le rythme de reproduction des espèces et j’ai beaucoup de plaisir à retrouver mes endroits au fur à mesure de l’année.
Allé, pause anecdote dans ce roman que vous avez la patience de lire ! En début d’automne je suis allé me faire une ultime session « bass ». On sait qu’à cette période ce ne sera pas la folie mais on peut farcir un gros spécimen.
Alors que je ne faisais strictement rien, eau froide, niveau très haut, zéro activité, j’ai commencé à jouer. J’me suis lancé des défis débiles de précision puis, j’ai repéré à côté d’une branche un espèce de tronc et dans ma tête j’me suis dit : « -imagine que c’est un gros bass et dépose lui ce petit rat juste devant le museau ».
Sans problème (ouais chui un dingue !) j’ai déposé le rongeur en plastique au millimètre et en une fraction de seconde le fameux tronc a dévasté la pauvre bête !! C’était bel et bien un bass… Je fus tellement surpris que je n’ai même pas réagi. Je suis resté figé dans mon float tube, les yeux écarquillés et la bouche grande ouverte ; « -mais c’est quoi ce bordel !!! » Dans la foulée, le poisson est monté en surface, à 50 cm de moi m’offrir une magistrale chandelle qui le décrocha du leurre.
Et me voilà comme … un con… Analyse de la situation, rembobinage du magnéto et conclusion rapide : « -j’ai rien compris ».
Super conclusion hein ? Ce que je préconise dans ces moments c’est d’attendre un peu, se calmer, se presser  le prépuce, changer de leurre et une fois le calme cérébral revenu reprendre la pêche.
OK, j’ai changé pour un leurre souple, moins volumineux et moins bruyant. Puis, par je ne sais quel miracle je vois le bass remonter et se caler à nouveau sur son poste. J’en reviens pas mais je ne veux pas me précipiter. Je le laisse reprendre son activité et c’est évident : il est en embuscade, en chasse, à l’affût.
Avec la plus grande discrétion je dépose l’écrevisse qui disparait vers les profondeurs. Le poisson l’a repéré et part à sa poursuite. Ça sent bon. Le leurre est au fond, j’observe ma ligne qui ne mettra pas longtemps à se déplacer. Le gros bass est au bout et VLAN !! Ferrage suivi d’un combat lourd et puissant ! Les gros coups de tête annoncent un fish qui en a vu d’autres.
Peu à peu il monte ! Je le sors de son habitat et le propulse dans l’épuisette !! YESSS quel retournement de situation et quelle action de pêche ! Pffiouuu celui-là j’m’en souviendrai !! Il ne se passera plus rien de la journée mais cette scène restera gravée dans ma mémoire avec une certaine fierté !
Super bass d'automne qui affiche ses 47cm!


L’automne, saison préférée des pêcheurs ?
On peut évidemment retrouver une grande partie de ce que j’ai tenté d’expliquer dans les magazines (et bien plus en profondeur) car en effet cette saison concentre les pêcheurs au bord de l’eau et chaque année les articles rechantent la même chanson alors à mon tour j’ai voulu profiter de mon automne car moi aussi c’est ma saison préférée !
En bon pêcheur prévoyant j’ai eu la chance de pouvoir me bloquer un petit tour vers le centre de la France pour gouter aux bonnes conditions de pêche et aux couleurs de l’automne ! Le hic c’est que ces transitions climatiques ferment souvent la gueule aux poissonnets qui, suite à une baisse rapide des températures ne s’alimentent plus le temps de la stabilisation.
Il faut donc comme d’habitude être au bon endroit au bon moment. En bateau et même du bord nous avons eu la chance de tomber sur des zones où les herbiers étaient encore présents. Et comme par hasard les brochets n’étaient pas bien loin.


Par contre dans les lacs où les herbiers avaient disparu nous avons délaissé les bordures pour rechercher les boules de blancs dans plus d’eau. La traque devient bien plus aléatoire et l’électronique est d’une grande aide. Vu que les « blancs » se déplacent il n’est par contre pas rare de les voir se rapprocher du bord quand le vent souffle fort et qu’il transforme une berge en véritable banquet. Dans ce cas il y a fort à parier que les carnassiers les auront suivis et j’ai eu la chance de tomber sur ces conditions idylliques qui permettent de réaliser des sessions de rêve et du bord ! Ces quelques jours qui ont rassemblés les poissons sur une zone abordable auront été du pur bonheur. Tandis que les blancs profitaient des sédiments en suspension les perchasses, elles, attendaient dans la première cassure, à 3m de profondeur. Il suffisait d’arriver à atteindre contre le vent la strike zone et d’y laisser tomber un leurre suffisamment lesté pour BOOOOOOMMMM prendre une grosse sanction !!!
Boom ouverture du bal avec une 42!
Puis une 41 pour la table 2!

La lourdeur et les coups de tronches sont synonymes de grosses perches ; des poissons de plus de 10 ans ! Quand on enchaîne ces poissons trophés ça fait bizarre et pour ça et malgré nos boîtes hyper fournies il n y a pas eu meilleur leurre que le black minnow de fiiish. Pas d’accrochage sur le tombant rocheux et même si j’étais septique quant à l’efficacité du montage texan sur ce type de pêche seulement un poisson s’est décroché ! (Ça a donc été le pattern en utilisant le numéro 3 : 12cm tête shore : 12gr et pour le coloris le naturel l’emportait !).
Les ravages du black minnow sur une perche de 49cm...

Qui a dit que ce leurre était réservé aux bars...

Encore de la pizza!


Quand ce phénomène arrive on se demande vraiment où sont les poissons le reste de l’année ????? On peut ratisser un plan d’eau depuis 10 ans sans grand succès et d’un coup tomber sur le bon moment et là ; on hallucine, on vit pleinement notre passion…
Peut-être que ces poissons sont juste des passagers de l’automne ?
Nos rivières, nos fleuves, nos étangs et nos lacs recèlent de mystères qu’heureusement on ne percera jamais. On peut tenter d’expliquer ce que l’on a cru comprendre mais ces théories ne sont souvent faites que pour nous rassurer. Les saisons, les transitions, les changements sont des renaissances voire même des naissances* qui nous ouvrent de nouvelles pages de notre vie.
La nature reste magique et la magie ne s’explique pas.